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disant à son père qu’il avait travaillé tard. La journée s’écoula dans les occupations accoutumées. Ni l’un ni l’autre ne fit une allusion à ce qui s’était passé entre eux, même quand ils se retrouvèrent ensemble, loin des yeux et des oreilles. Ils ne se fuyaient pas, ils semblaient certains de leur courage. Mais, le soir, comme ils se souhaitaient une bonne nuit dans le corridor, devant leurs portes, ils tombèrent follement aux bras l’un de l’autre, ils se donnèrent un baiser à pleine bouche. Et Pauline s’enferma, épouvantée, tandis que Lazare s’enfuyait aussi et allait se jeter sur son lit en pleurant.

Alors, ce fut leur existence. Lentement, les jours se suivaient, et ils restaient côte à côte, dans l’attente anxieuse d’une faute possible. Sans jamais ouvrir la bouche de ces choses, sans qu’ils eussent jamais reparlé de la nuit terrible, ils y pensaient continuellement, ils craignaient de s’abattre ensemble, n’importe où, comme frappés de la foudre. Serait-ce le matin, à leur lever, ou le soir, quand ils échangeaient une dernière parole ? serait-ce chez lui ou chez elle, dans un coin écarté de la maison ? cela demeurait obscur. Et leur raison se gardait entière, chaque abandon brusque, chaque folie d’un instant, les étreintes désespérées derrière une porte, les baisers cuisants volés dans l’ombre, les soulevaient ensuite d’une colère douloureuse. Le sol tremblait sous leurs pieds, ils se cramponnaient aux résolutions des heures calmes, pour ne pas s’abîmer dans ce vertige. Mais ni l’un ni l’autre n’avait la force de l’unique salut, d’une séparation immédiate. Elle, sous un prétexte de vaillance, s’obstinait en face du danger. Lui, pris tout entier, cédant au premier emportement d’une aventure nouvelle, ne répondait