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ler voir son père à Bonneville. Au fond, il avait honte de cette fuite. Mais il discutait avec sa conscience, une courte séparation leur calmerait les nerfs à tous deux, et il suffisait en somme qu’il fût là pour les couches.

Le soir où Pauline connut enfin l’histoire entière des dix-huit mois écoulés, elle resta un instant sans voix, étourdie par ce désastre. C’était dans la salle à manger, elle avait couché Chanteau, et Lazare venait d’achever sa confession, en face de la théière refroidie, sous la lampe qui charbonnait.

Après un silence, elle finit par dire :

— Mais vous ne vous aimez plus, grand Dieu.

Il s’était levé pour monter à sa chambre. Et il protesta, avec son rire inquiet.

— Nous nous aimons autant qu’on peut s’aimer, ma chère enfant… Tu ne sais donc rien, dans ton trou ? Pourquoi l’amour irait-il mieux que le reste ?

Dès qu’elle fut enfermée chez elle, Pauline retomba à une de ces crises de désespoir qui l’avaient si souvent tenue là, sur la même chaise, éveillée et torturée, pendant que la maison dormait. Est-ce que le malheur allait recommencer ? Quand elle croyait tout fini pour les autres et pour elle, quand elle s’était arraché le cœur jusqu’à donner Lazare à Louise, brusquement elle apprenait l’inutilité de son sacrifice : ils ne s’aimaient déjà plus, elle avait en vain pleuré les larmes et saigné le sang de son martyre. C’était à ce misérable résultat qu’elle aboutissait, à de nouvelles douleurs, des luttes prochaines, dont le pressentiment augmentait son angoisse. On ne cessait donc jamais de souffrir !

Et, tandis que les bras abandonnés, elle regardait