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nous essayons d’élever : tous les autres sont morts, lui seul s’entête à vivre.

D’un air maussade, Loulou s’était décidé à se coucher au soleil, en tournant le dos au monde. Des mouches volaient sur lui. Alors, Lazare songea aux années écoulées, à ce qui n’était plus et à ce qui entrait dans sa vie de nouveau et de laid. Il donna encore un regard à la cour.

— Mon pauvre Mathieu ! murmura-t-il très bas.

Sur le perron, Véronique l’accueillit d’un branlement de tête, sans cesser d’éplucher une carotte. Mais il alla droit à la salle à manger, où son père attendait, remué par le bruit des voix. Pauline cria dès la porte :

— Tu sais qu’il est seul, Louise est à Clermont.

Chanteau, dont les regards inquiets s’éclairaient, questionna son fils, avant même de l’embrasser.

— Tu l’attends ici ? quand viendra-t-elle te rejoindre ?

— Non, non, répondit Lazare, c’est moi qui irai la reprendre chez sa belle-sœur, avant de rentrer à Paris… Je passe quinze jours avec vous, puis je file.

Les regards de Chanteau exprimèrent une grande joie muette ; et, comme Lazare l’embrassait enfin, il lui rendit deux vigoureux baisers. Pourtant, il sentit la nécessité d’exprimer des regrets.

— Est-ce ennuyeux que ta femme n’ait pu venir, nous aurions été si heureux de l’avoir !… Ce sera pour une autre fois, il faut absolument que tu nous l’amènes.

Pauline se taisait, cachant sous le rire tendre de son accueil la secousse intérieure qu’elle avait reçue. Tout changeait donc une fois encore, elle ne partirait pas, et elle n’aurait su dire si elle en était