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elle fait, mon Dieu ! pour qu’il eût ainsi poussé la cruauté jusqu’à élargir la blessure ? Ne pouvait-il accepter immédiatement, le jour où elle avait toute sa force, sans l’amollir d’une espérance vaine ? Maintenant le sacrifice devenait double, elle le perdait une seconde fois, et d’autant plus douloureusement, qu’elle s’était imaginé le reprendre. Mon Dieu ! elle avait du courage, mais c’était mal de lui rendre sa tâche si affreuse.

Tout fut rapidement réglé. Véronique, béante, ne comprenait plus, trouvait que les choses marchaient à l’envers depuis la mort de Madame. Mais ce fut surtout Chanteau que ce dénouement bouleversa. Lui, qui d’ordinaire ne s’occupait de rien et qui hochait la tête d’approbation à chaque volonté des autres, comme retiré dans l’égoïsme des minutes de calme qu’il volait à la douleur, se mit à pleurer, quand Pauline elle-même lui annonça le nouvel arrangement. Il la regardait, il balbutiait, des aveux lui échappaient en paroles étranglées : ce n’était pas sa faute, il aurait voulu agir autrement jadis, et pour l’argent, et pour le mariage ; mais elle savait bien qu’il se portait trop mal. Alors, elle l’embrassa, en lui jurant que c’était elle qui forçait Lazare à épouser Louise, par raison. Au premier moment, il n’osa la croire il clignait les yeux avec un reste de tristesse, en répétant :

— Bien vrai ? bien vrai ?

Puis, comme il la voyait rire, il se consola vite et devint même tout à fait joyeux. Enfin, il était soulagé, car cette vieille affaire lui barrait le cœur, sans qu’il osât en parler. Il baisa Louisette sur les joues, il retrouva, le soir, au dessert, une chanson gaillarde. Pourtant, en allant se coucher, il eut une dernière inquiétude.