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Elle cherchait ses phrases, afin de rendre vraisemblable son mensonge. Mais sa rivale la regardait toujours de ses yeux fixes, comme si elle avait pénétré le sens caché des mots.

— Pourquoi mens-tu ? murmura-t-elle enfin. Est-ce que tu es capable de ne plus aimer, quand tu aimes ?

Pauline se troubla.

— Enfin, qu’importe ! vous vous aimez, il est tout naturel qu’il t’épouse… Moi, j’ai été élevée avec lui, je resterai sa sœur. Les idées passent, quand on s’est attendu si longtemps… Et puis, il y a encore beaucoup de raisons…

Elle eut conscience qu’elle perdait pied, qu’elle s’égarait, et elle reprit, emportée par sa franchise :

— Oh ! ma chérie, laisse-moi faire ! Si je l’aime encore assez pour désirer qu’il soit ton mari, c’est que je te crois maintenant nécessaire à son bonheur. Est-ce que cela te déplaît ? est-ce que tu n’agirais pas comme moi ?… Voyons, causons gentiment. Veux-tu être du complot ? veux-tu que nous nous entendions ensemble pour le forcer à être heureux ? Même s’il se fâchait, s’il croyait me devoir quelque chose, il faudrait m’aider à le persuader, car c’est toi qu’il aime, c’est toi dont il a besoin… Je t’en prie, sois ma complice, convenons bien de tout, pendant que nous sommes seules.

Mais Louise la sentait si frissonnante, si déchirée dans ses supplications, qu’elle eut une dernière révolte.

— Non, non, je n’accepte pas !… Ce serait abominable, ce que nous ferions là. Tu l’aimes toujours, je le sens bien, et tu ne sais qu’inventer pour te torturer davantage… Au lieu de t’aider, je vais tout lui dire. Oui, dès qu’il rentrera…