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quoi se trouvait-elle là ? pourquoi sa cousine ramenait-elle cette rivale, qu’elle avait si rudement chassée ? C’était une stupeur où il ne se retrouvait plus.

— Embrasse-la, Lazare, puisqu’elle n’ose pas, dit doucement Pauline.

Elle était toute blanche dans son deuil, mais la face apaisée et les yeux clairs. De son air maternel, de cet air grave qu’elle prenait aux heures importantes du ménage, elle les regardait l’un et l’autre ; et elle se contenta de sourire, quand il se décida à effleurer de ses lèvres les joues tendues de la jeune fille.

Du coup, Véronique, qui voyait ça, les mains ballantes, s’en retourna au fond de sa cuisine, absolument suffoquée. Elle non plus ne comprenait pas. Après ce qui s’était passé, il fallait avoir bien peu de cœur. Mademoiselle devenait impossible, quand elle se mettait à vouloir être bonne. Ce n’était donc pas assez de toutes les petites pouilleuses, traînées jusque dans la vaisselle : elle amenait maintenant des maîtresses à monsieur Lazare ! La maison allait être propre. Quand la bonne se fut soulagée en bougonnant au-dessus de son fourneau, elle revint crier :

— Vous savez que le déjeuner attend depuis une heure… Les pommes de terre sont en charbon.

On déjeuna de grand appétit, mais Chanteau seul riait franchement, trop égayé pour remarquer le malaise persistant des trois autres. Ils étaient ensemble d’une prévenance affectueuse ; et ils semblaient garder pourtant un fond de tristesse inquiète, comme après ces querelles où l’on s’est pardonné, sans pouvoir oublier les injures irréparables. En-