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même, elle l’écoutait, car il lui devenait bientôt impossible de s’en défendre. Peu à peu, elle reconnaissait sa propre voix, elle se raisonnait : qu’importait sa souffrance, pourvu que les êtres aimés fussent heureux ! Elle sanglotait plus bas, en écoutant le flot monter du fond des ténèbres, épuisée et malade, sans être vaincue encore.

Une nuit, elle s’était couchée, après avoir pleuré longtemps à la fenêtre. Dès qu’elle eut soufflé sa bougie et qu’elle se trouva dans le noir, les yeux grands ouverts, elle prit brusquement une décision : le lendemain, avant toutes choses, elle ferait écrire par son oncle à Louise, pour prier celle-ci de venir passer un mois à Bonneville. Rien ne lui semblait plus naturel ni plus aisé. Aussitôt, elle s’endormit d’un bon sommeil, il y avait des semaines qu’elle ne s’était reposée si profondément. Mais, le lendemain, quand elle fut descendue pour le déjeuner, et qu’elle se revit entre son oncle et son cousin, à cette table de la famille où les places des trois bols de lait étaient marquées, elle étouffa tout d’un coup, elle sentit son courage s’en aller.

— Tu ne manges pas, dit Chanteau. Qu’as-tu donc ?

— Je n’ai rien, répondit-elle. Au contraire, j’ai dormi comme une bienheureuse.

La seule vue de Lazare la rendait à son combat. Il mangeait silencieusement, las déjà de cette nouvelle journée qui commençait ; et elle ne trouvait plus la force de le donner à une autre. L’idée qu’une autre le prendrait, le baiserait pour le consoler, lui était insupportable. Quand il fut sorti, elle voulut cependant faire ce qu’elle avait décidé.