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fille sans doute qu’il attendait, rien ne serait si facile que de le guérir, en allant la chercher. Et, chaque soir, Pauline, lorsqu’elle montait chez elle, ne s’abandonnait plus de lassitude au bord de son lit, sans retomber dans la même vision, torturée par la croyance que le bonheur des siens était peut-être aux mains de l’autre.

Des révoltes, pourtant, continuaient à la soulever. Elle quittait son lit, allait ouvrir la fenêtre, prise de suffocations. Puis, devant l’immensité noire, au-dessus de la mer, dont elle entendait la plainte, elle demeurait accoudée des heures, sans pouvoir dormir, la gorge brûlante aux souffles du large. Non ! jamais elle ne serait assez misérable pour tolérer le retour de cette fille. Ne les avait-elle pas surpris au bras l’un de l’autre ? N’était-ce pas la trahison la plus basse, près d’elle, dans une chambre voisine, dans cette demeure qu’elle regardait comme sienne ? Cette vilenie restait sans pardon, ce serait être complice que de les remettre l’un en face de l’autre. Sa rancune jalouse s’enfiévrait aux spectacles qu’elle évoquait ainsi, elle étouffait des sanglots en cachant sa face contre ses bras nus, les lèvres collées à sa chair. La nuit s’avançait, les vents passaient sur son cou, emportaient ses cheveux, sans calmer le sang de colère dont battaient ses veines. Mais, sourdement, invinciblement, la lutte se poursuivait entre sa bonté et sa passion, même dans l’excès de ses révoltes. Une voix de douceur, qui lui était alors comme étrangère, s’entêtait à parler très bas en elle des joies de l’aumône, du bonheur de se donner aux autres. Elle voulait la faire taire : c’était imbécile, cette abnégation de soi poussée jusqu’à la lâcheté ; et, tout de