Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La vérité était qu’elle tremblait, à l’idée de ce journal, malgré son désir de le voir occupé. Un nouvel échec l’aurait achevé peut-être ; et elle se rappelait ses continuels avortements, la musique, la médecine, l’usine, tout ce qu’il entreprenait. Du reste, deux heures plus tard, il refusait même d’écrire une lettre, comme écrasé de fatigue.

Des semaines coulèrent encore, une grande marée emporta trois maisons de Bonneville. À présent, quand les pêcheurs rencontraient Lazare, ils lui demandaient si c’était qu’il en avait assez. Bien sûr qu’on n’y pouvait rien, mais ça faisait tout de même rager, de voir tant de bon bois perdu. Et, dans leurs doléances, dans la façon dont ils le suppliaient de ne pas laisser le pays sous les vagues, il y avait une goguenardise féroce de matelots, fiers de leur mer aux gifles mortelles. Lui, peu à peu, s’irritait, au point qu’il évitait de traverser le village. La vue, au loin, des ruines de l’estacade et des épis lui devenait insupportable.

Prouane l’arrêta, un jour qu’il entrait chez le curé.

— Monsieur Lazare, lui dit-il humblement, avec un rire de malice aux coins des yeux, vous savez, les morceaux de bois qui pourrissent là-bas, sur la plage ?

— Oui, après ?

— Si vous n’en faites plus rien, vous devriez nous les donner… Au moins, nous nous chaufferions avec.

Une colère contenue emporta le jeune homme. Il répondit vivement, sans même y avoir pensé :

— Impossible, je remets les charpentiers au travail la semaine prochaine.

Dès lors, tout le pays clabauda. On allait revoir la