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Des échelles et des tonneaux défoncés jetaient de grandes ombres, la bougie éclairait fort mal. Il y eut un froissement de paille : c’était la chatte, la Minouche, couchée sur le lit préparé pour Mathieu, et que la lumière dérangeait.

— Veux-tu boire, mon pauvre vieux chien ? répétait Lazare.

Il avait trouvé un torchon, il le trempait dans la terrine d’eau et le pressait sur la gueule de la bête mourante. Cela paraissait la soulager, son nez excorié par la fièvre se refroidissait un peu. Une demi-heure se passa, il ne cessait de rafraîchir le torchon, s’emplissant les yeux du lamentable spectacle, la poitrine serrée d’une tristesse immense. Comme au lit d’un malade, des espérances folles le prenaient : peut-être allait-il rappeler la vie, avec ce simple lavage.

— Quoi donc ? quoi donc ? dit-il tout d’un coup. Tu veux te mettre sur tes pattes ?

Secoué d’un frisson, Mathieu faisait des efforts pour se soulever. Il raidissait ses membres, tandis que des hoquets, des houles venues de ses flancs, lui enflaient le cou. Mais c’était la fin, il s’abattit en travers des genoux de son maître, qu’il ne quittait pas des yeux, tâchant de le voir encore, sous ses paupières lourdes. Bouleversé par ce regard intelligent de moribond, Lazare le gardait sur lui ; et ce grand corps, long et lourd comme celui d’un homme, avait une agonie humaine, entre ses bras éperdus. Cela dura quelques minutes. Puis, il vit de vraies larmes, de grosses larmes rouler des yeux troubles, pendant que la langue sortait de la gueule convulsée, pour une dernière caresse.

— Mon pauvre vieux toutou ! cria-t-il, en éclatant lui-même en sanglots.