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sur la paille, avec le regard vacillant, tourné vers la porte. Demain, son chien serait mort. Et, malgré lui, à chaque minute, il se soulevait, il écoutait, croyant l’avoir entendu aboyer dans la cour. Son oreille aux aguets saisissait toutes sortes de bruits imaginaires. Vers deux heures, ce furent des gémissements, qui le firent sauter du lit. Où donc pleurait-on ? Il sortit sur le palier, la maison était noire et silencieuse, pas un souffle ne venait de la chambre de Pauline. Alors, il ne put résister davantage au besoin qu’il avait de redescendre. L’espérance de revoir son chien l’emplit brusquement de hâte. Il se donna à peine le temps de passer un pantalon, et descendit d’un pas rapide, avec sa bougie.

Dans la remise, Mathieu n’était point resté sur la paille. Il avait préféré se traîner à quelque distance sur la terre battue. Lorsqu’il vit entrer son maître, il ne trouva même plus la force de lever la tête. Celui-ci, après avoir posé le bougeoir au milieu de vieilles planches, s’était accroupi, étonné de la couleur noire de la terre ; et, le cœur crevé, il tomba à genoux, quand il se fut aperçu que le chien agonisait dans du sang, toute une mare de sang. C’était sa vie qui s’en allait, il battit faiblement de la queue, pendant que ses yeux profonds avaient une lueur.

— Ah ! mon pauvre vieux chien ! murmura Lazare, mon pauvre vieux chien !

Il parlait tout haut, il lui disait :

— Attends, je vais te changer de place… Non ! ça te fait du mal… Mais tu es si mouillé ! Et je n’ai pas même une éponge !… Si tu voulais boire ?

Mathieu le regardait toujours fixement. Peu à peu, un râle agitait ses côtes. Sans bruit, comme sortie d’une source cachée, la mare de sang s’élargissait.