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la Minouche, quand la bonne les portait à la mer. Maintenant, il passait les journées dans une somnolence de vieil homme, et il éprouvait tant de peine à se remettre debout, il tirait tellement sur ses pattes molles, que souvent quelqu’un de la maison, pris de pitié, l’aidait, le soutenait une minute, afin qu’il pût marcher ensuite.

Des pertes de sang l’épuisaient davantage chaque jour. On avait fait venir un vétérinaire, qui s’était mis à rire en le voyant. Comment ! on le dérangeait pour ce chien ? Le mieux était de l’abattre. Il faut bien tâcher de prolonger un homme, mais à quoi bon laisser souffrir une bête condamnée ! On avait jeté le vétérinaire à la porte, en lui donnant les six francs de sa consultation.

Un samedi, Mathieu perdait tant de sang, qu’il avait fallu l’enfermer dans la remise. Il semait, derrière lui, une pluie de larges gouttes rouges. Comme le docteur Cazenove était venu de bonne heure, il offrit à Lazare de voir le chien, qu’on traitait en personne de la famille. Ils le trouvèrent couché, la tête haute, très affaibli, mais l’œil vivant encore. Le docteur l’examina longuement, de l’air réfléchi qu’il prenait au chevet d’un malade. Il dit enfin :

— Des hématuries si abondantes doivent provenir d’une dégénérescence cancéreuse des reins… Il est perdu. Mais il peut aller quelques jours, à moins qu’il ne soit emporté dans une hémorragie brusque.

L’état désespéré de Mathieu attrista le repas. On rappela combien madame Chanteau l’avait aimé, et les chiens qu’il étranglait, et ses tours de jeunesse, des côtelettes volées sur le gril, des œufs gobés tout chauds. Pourtant, au dessert, lorsque l’abbé Horteur sortit sa pipe, la gaieté reparut, on l’écouta donner