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LES ROUGON-MACQUART.

nous ne remplissons que notre devoir. Il faut obéir aux morts. Si nous y mettons encore du nôtre, eh bien ! cela nous portera chance peut-être, ce dont nous avons grand besoin… La pauvre chérie a été si secouée, et elle sanglotait si fort en quittant sa bonne ! Je veux qu’elle soit heureuse avec nous.

Les deux hommes étaient gagnés par l’attendrissement.

— Certes, ce n’est pas moi qui lui ferai du mal, dit Chanteau.

— Elle est charmante, ajouta Lazare. Moi, je l’aime déjà beaucoup.

Mais, ayant senti le thé dans son sommeil, Mathieu s’était secoué et avait de nouveau posé sa grosse tête au bord de la table. Minouche, elle aussi, s’étirait, enflait l’échine en bâillant. Ce fut tout un réveil, la chatte finit par allonger le cou, pour flairer le paquet des titres, dans le carton graisseux. Et, comme les Chanteau reportaient leurs regards vers Pauline, ils l’aperçurent les yeux ouverts, fixés sur les papiers, sur ce vieux registre déloqueté, qu’elle retrouvait là.

— Oh ! elle sait bien ce qu’il y a dedans, reprit madame Chanteau. N’est-ce pas ? ma mignonne, je t’ai montré ça, là-bas, à Paris… C’est ce que ton pauvre père et ta pauvre mère t’ont laissé.

Des larmes roulèrent sur les joues de la petite fille. Son chagrin lui revenait encore ainsi, par brusques ondées de printemps. Elle souriait déjà au milieu de ses pleurs, elle s’amusait de la Minouche qui, après avoir senti longuement les titres, sans doute alléchée par l’odeur, se remettait à pétrir et à ronronner, en donnant de grands coups de tête dans les angles du registre.