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jeune couleuvre dont on a écrasé la queue. C’était à la gifler.

— Rends ce qu’on t’a donné, criait-il. Où est la pièce ?

Déjà, elle portait cette pièce à ses lèvres, pour l’avaler, lorsque Pauline la délivra, en disant :

— Garde-la tout de même, et avertis chez toi que c’est la dernière. J’irai désormais voir ce dont vous aurez besoin… Va-t’en !

On entendit les pieds nus de la gamine sauter dans les flaques, puis un silence tomba. Véronique bousculait le banc, se baissait avec une éponge, pour essuyer les mares qui avaient coulé des guenilles. Vraiment ! sa cuisine était propre, empoisonnée de cette misère, à tel point qu’elle ouvrit toutes les portes et la fenêtre. Mademoiselle, sérieuse, sans prononcer une parole, ramassait son sac et ses remèdes ; tandis que monsieur, l’air révolté, bâillant de dégoût et d’ennui, était allé se laver les mains à la fontaine.

C’était le chagrin de Pauline : elle voyait que Lazare ne s’intéressait guère à ses petits amis du village. S’il voulait bien encore l’aider le samedi, il y avait là une simple complaisance pour elle, car son cœur n’était pas de la besogne. Lorsque rien ne la rebutait, ni la pauvreté, ni le vice, lui se fâchait et s’attristait de ces laides choses. Elle restait calme et gaie, dans son amour des autres, pendant qu’il ne pouvait sortir de lui, sans trouver au-dehors des causes nouvelles d’humeurs noires. Peu à peu, il en venait ainsi à souffrir réellement de la marmaille malpropre où fermentaient déjà tous les péchés des hommes. Cette semence de misérables achevait de lui gâter la vie, il les quittait courbaturé,