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Alors, voyant que son cousin allait s’emporter, Pauline intervint.

— Rassieds-toi, nous causerons tout à l’heure. Tâche de réfléchir, ou je me fâcherai aussi.

C’était le tour de la petite Gonin. Elle avait treize ans, et elle gardait son joli visage rose, sous la tignasse de ses cheveux blonds. Sans être interrogée, lâchant les détails crus au milieu d’un flot de paroles bavardes, elle raconta que la paralysie de son père lui montait dans les bras et dans la langue, car il ne poussait plus que des grognements, comme une bête. Le cousin Cuche, l’ancien matelot qui avait lâché sa femme, pour s’installer à leur table et dans leur lit, s’était jeté sur le vieux, le matin même, avec l’idée de l’achever.

— Maman aussi tape dessus. La nuit, elle se lève en chemise avec le cousin, elle vide des pots d’eau froide sur papa, parce qu’il geint si fort, que ça les dérange… Si vous voyiez dans quel état ils l’ont mis ! Il est tout nu, mademoiselle, il lui faudrait du linge, car il s’écorche…

— C’est bien, tais-toi ! dit Lazare en l’interrompant, tandis que Pauline, apitoyée, envoyait Véronique chercher une paire de draps.

Il la trouvait beaucoup trop délurée pour son âge. Selon lui, bien qu’elle empoignât parfois des gifles égarées, elle s’était mise également à bousculer son père ; sans compter que tout ce qu’on lui donnait, l’argent, la viande, le linge, au lieu d’aller à l’infirme, servait aux noces de la femme et du cousin. Il la questionna brusquement :

— Que faisais-tu donc, avant-hier, dans le bateau de Houtelard, avec un homme qui s’est sauvé ?

Elle eut un sourire sournois.