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alignée, serrée frileusement, une marmaille effrontée et sournoise, dévorant des yeux ce qui traînait, des litres entamés, un reste de viande, une botte de carottes jetée sur un billot.

— S’il est permis ! continuait à grogner Véronique, des enfants qui grandissent et qui devraient tous gagner leur vie !… Allez, ils se feront traiter en marmots jusqu’à vingt-cinq ans, si vous le voulez bien !

Il fallut que Mademoiselle la priât de se taire.

— Est-ce fini ?… Ça ne leur donne pas à manger, de grandir.

Pauline s’était assise devant la table, ayant sous la main l’argent et les dons en nature, et elle s’apprêtait à commencer l’appel, lorsque Lazare, resté debout, se récria, en apercevant le fils Houtelard, dans le tas.

— Je t’avais défendu de revenir, grand vaurien !… Tes parents ne sont pas honteux, de t’envoyer mendier ici, eux qui ont encore de quoi manger, quand il y en a tant d’autres qui crèvent de faim !

Le fils Houtelard, un maigre garçon de quinze ans poussé trop vite, à la mine triste et peureuse, s’était mis à pleurer.

— Ils me battent, quand je ne viens pas… La femme a pris la corde et papa m’a poussé dehors.

Et il retroussait sa manche, pour montrer sa meurtrissure violette d’un coup de corde à nœuds. La femme était l’ancienne servante épousée par son père, et qui le tuait de coups. Depuis leur ruine, la dureté et l’ordure de leur avarice avaient augmenté. Maintenant, ils vivaient dans un cloaque, en se vengeant sur le petit.

— Mets-lui au coude une compresse d’arnica, dit doucement Pauline à Lazare.