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qu’il y avait, au fond, l’idée superstitieuse qu’un certain nombre d’attouchements, cinq et sept par exemple, distribués d’une façon particulière, empêchaient l’adieu d’être définitif. Malgré sa vive intelligence, sa négation du surnaturel, il pratiquait avec une docilité de brute cette religion imbécile, qu’il dissimulait comme une maladie honteuse. C’était la revanche du détraquement nerveux, chez le pessimiste et le positiviste, qui déclarait croire uniquement au fait, à l’expérience. Il en devenait agaçant :

— Qu’as-tu donc à piétiner ? criait Pauline. Voilà trois fois que tu retournes à cette armoire pour en toucher la clef… Va, elle ne s’envolera pas.

Le soir, il n’en finissait plus de quitter la salle à manger, rangeait les chaises dans un ordre voulu, faisait battre la porte un nombre réglé de fois, rentrait encore poser les mains, la droite après la gauche, sur le chef-d’œuvre du grand-père. Elle l’attendait au pied de l’escalier, elle finissait par rire.

— Quel maniaque tu feras à quatre-vingts ans !… Je te demande un peu s’il est raisonnable de tourmenter ainsi les choses ?

À la longue, elle cessa de plaisanter, inquiète de son malaise. Un matin, elle le surprit comme il baisait sept fois le bois du lit où sa mère était morte ; et elle fut alarmée, elle devinait les tortures dont il empoisonnait son existence. Lorsqu’il pâlissait en trouvant dans un journal une date future du vingtième siècle, elle le regardait de son air de compassion, qui lui faisait détourner la tête. Il se sentait compris, il courait se cacher dans sa chambre, avec une pudeur confuse de femme dont on surprend la nudité. Que de fois il s’était traité de lâche !