Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ceinture. Cela s’était fait naturellement, sans que Véronique parût s’en fâcher. La bonne, cependant, restait revêche et comme hébétée, depuis la mort de madame Chanteau. Il semblait se produire en elle un nouveau travail, un retour d’affection vers la morte, tandis qu’elle redevenait d’une maussaderie méfiante devant Pauline. Celle-ci avait beau lui parler doucement, elle s’offensait d’un mot, on l’entendait se plaindre toute seule dans sa cuisine. Et, lorsqu’elle pensait ainsi à voix haute, après de longs silences obstinés, toujours reparaissait en elle la stupeur de la catastrophe. Est-ce qu’elle savait que Madame allait mourir ? Bien sûr, elle n’aurait jamais dit ce qu’elle avait dit. La justice avant tout, on ne devait pas tuer les gens, même quand les gens avaient des défauts. Du reste, elle s’en lavait les mains, tant pis pour la personne qui était la vraie cause du malheur ! Mais cette assurance ne la calmait pas, elle continuait à grogner, en se débattant contre sa faute imaginaire.

— Qu’as-tu donc à te tracasser la cervelle ainsi ? lui demanda Pauline un jour. Nous avons fait notre possible, on ne peut rien contre la mort.

Véronique hochait la tête.

— Laissez, on ne meurt pas comme ça… Madame était ce qu’elle était, mais elle m’avait prise toute petite, et je me couperais la langue, si je pensais être pour quelque chose dans son affaire… N’en causons point, ça tournerait mal.

Le mot de mariage n’avait plus été prononcé entre Pauline et Lazare. Chanteau, près duquel la jeune fille venait coudre, afin de le désennuyer, s’était risqué une fois à faire une allusion, désireux d’en finir, maintenant que l’obstacle avait disparu. C’était