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s’arrangeaient mal, ce curé ne donnait seulement pas un coup de râteau. Ensuite, il se plaignit de ses pommes de terre, car elles coulaient depuis deux ans, bien que le sol dût leur convenir.

— Que je ne vous dérange pas, lui dit Lazare. Continuez votre travail.

L’abbé reprit tout de suite sa bêche.

— Ma foi, je veux bien… Ces galopins vont arriver pour le catéchisme, et je tiens à finir ce carré auparavant.

Lazare s’était assis sur un banc de granit, quelque ancienne pierre tombale, adossée contre le petit mur du cimetière. Il regardait l’abbé Horteur se battre avec les cailloux, il l’écoutait causer de sa voix aiguë de vieil enfant ; et une envie lui venait d’être ainsi pauvre et simple, la tête vide, la chair tranquille. Pour que l’évêché eût laissé le bonhomme vieillir dans cette cure misérable, il fallait vraiment qu’on le jugeât d’une grande innocence d’esprit. Du reste, il était de ceux qui ne se plaignent pas, et dont l’ambition est satisfaite lorsqu’ils ont du pain à manger et de l’eau à boire.

— Ce n’est pas gai, de vivre parmi ces croix, pensa tout haut le jeune homme.

Le prêtre, surpris, s’était arrêté de bêcher.

— Comment, pas gai ?

— Oui, on a toujours la mort devant les yeux, on doit en rêver la nuit.

Il ôta sa pipe, cracha longuement.

— Ma foi, je n’y songe jamais… Nous sommes tous dans la main de Dieu.

Et il reprit la bêche, il l’enfonça d’un coup de talon. Sa croyance le gardait de la peur, il n’allait pas au-delà du catéchisme : on mourait et on mon-