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tager, qu’un mur bas séparait seulement du cimetière. En vieille blouse grise, chaussé de sabots, le prêtre bêchait lui-même un carré de choux ; et le visage tanné par l’air âpre de la mer, la nuque brûlée de soleil, il ressemblait à un vieux paysan, courbé sur la terre dure. Payé à peine, sans casuel dans cette petite paroisse perdue, il serait mort de faim, s’il n’avait fait pousser quelques légumes. Son peu d’argent allait à des aumônes, il vivait seul, servi par une gamine, obligé souvent de mettre sa soupe au feu. Pour comble de malheur, la terre ne valait rien sur ce roc, le vent lui brûlait ses salades, ce n’était vraiment pas une chance d’avoir à se battre contre les cailloux, et d’obtenir des oignons si maigres. Cependant, il se cachait encore, quand il passait sa blouse, de crainte qu’on n’en plaisantât la religion. Aussi Lazare allait-il se retirer lorsqu’il le vit sortir de sa poche une pipe, la bourrer à coups de pouce et l’allumer, avec de gros bruits de lèvres. Mais comme il jouissait béatement des premières bouffées, l’abbé à son tour aperçut le jeune homme. Il eut un geste effaré pour cacher sa pipe, puis il se mit à rire, et il cria :

— Vous prenez l’air… Entrez donc, vous verrez mon jardin.

Quand Lazare fut près de lui, il ajouta joyeusement :

— Hein ? vous me trouvez en débauche… Je n’ai que ça, mon ami, et ce n’est pas Dieu qui s’en offense.

Dès lors, fumant bruyamment, il ne quitta plus sa pipe que pour lâcher de courtes phrases. Ainsi, le curé de Verchemont le préoccupait : un homme heureux qui avait un jardin magnifique, du vrai terreau où tout poussait ; et voyez comme les choses