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usant là les mêmes pierres depuis des siècles, sans avoir jamais pleuré sur une mort humaine. C’était trop grand, trop froid, et il se hâtait de rentrer, de s’enfermer, pour se sentir moins petit, moins écrasé entre l’infini de l’eau et l’infini du ciel. Un seul endroit l’attirait, le cimetière qui entourait l’église : sa mère n’y était point, il y songeait à elle avec une grande douceur, il s’y calmait singulièrement, malgré sa terreur du néant. Les tombes dormaient dans l’herbe, des ifs avaient poussé à l’abri de la nef, on n’entendait que le sifflement des courlis, bercés au vent du large. Et il s’oubliait là des heures, sans pouvoir même lire sur les dalles les noms des vieux morts, effacés par les pluies battantes de l’ouest.

Encore si Lazare avait eu la foi en l’autre monde, s’il avait pu croire qu’on retrouvait un jour les siens, derrière le mur noir. Mais cette consolation lui manquait, il était trop convaincu de la fin individuelle de l’être, mourant et se perdant dans l’éternité de la vie. Il y avait là une révolte déguisée de son moi, qui ne voulait pas finir. Quelle joie de recommencer ailleurs, parmi les étoiles, une nouvelle existence avec les parents et les amis ! comme cela aurait rendu l’agonie douce, d’aller rejoindre les affections perdues, et quels baisers à la rencontre, et quelle sérénité de revivre ensemble immortels ! Il agonisait devant ce mensonge charitable des religions, dont la pitié cache aux faibles la vérité terrible. Non, tout finissait à la mort, rien ne renaissait de nos affections, l’adieu était dit à jamais. Oh ! jamais ! jamais ! c’était ce mot redoutable qui emportait son esprit dans le vertige du vide.

Un matin, comme Lazare s’était arrêté à l’ombre des ifs, il aperçut l’abbé Horteur au fond de son po-