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joyeuses le cadran mort, où le temps semblait s’être arrêté. Cette pieuse attention de femme le bouleversa. Il pleura longtemps.

Et la salle à manger, la cuisine, la terrasse même, étaient ainsi pleines de sa mère. Il la retrouvait dans de menus objets qu’il ramassait, dans des habitudes qui lui manquaient tout d’un coup. Cela tournait à l’obsession, et il n’en parlait point, il mettait une sorte de pudeur inquiète à cacher ce tourment de toutes les heures, ce continuel entretien avec la mort. Comme il allait jusqu’à éviter de prononcer le nom de celle dont il était hanté, on aurait pu croire que l’oubli venait déjà, que jamais il ne songeait à elle, lorsqu’il ne passait pas un instant sans avoir au cœur l’élancement douloureux d’un souvenir. Seul, le regard de sa cousine le pénétrait. Alors, il risquait des mensonges, jurait avoir éteint sa lampe à minuit, se disait absorbé par un travail imaginaire, prêt à s’emporter, si on le questionnait davantage. Sa chambre était son refuge, il remontait s’y abandonner, plus tranquille dans ce coin où il avait grandi, n’ayant pas la peur d’y livrer aux autres le secret de son mal.

Dès les premiers jours, il avait bien essayé de sortir, de reprendre ses longues promenades. Du moins, il aurait échappé au silence maussade de la bonne et au spectacle pénible de son père, abattu dans un fauteuil, ne sachant à quelle distraction occuper ses dix doigts. Mais une répugnance invincible de la marche lui était venue. Il s’ennuyait dehors, d’un ennui qui allait jusqu’au malaise. Cette mer, avec son éternel balancement, son flot obstiné dont la houle battait la côte deux fois par jour, l’irritait comme une force stupide, étrangère à sa douleur,