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sement, après une chute, dont ses membres auraient gardé la courbature ; et il avait à présent toute sa tête, le souvenir très net, dégagé du cauchemar qu’il venait de traverser, avec la vision trouble de la fièvre. Chaque détail renaissait, il revivait ses douleurs. Le fait de la mort qu’il n’avait pas encore touché, était là, chez lui, dans la pauvre mère emportée brutalement, en quelques jours. Cette horreur de n’être plus devenait tangible : on était quatre, et un trou se creusait, on restait trois à grelotter de misère, à se serrer éperdument, pour retrouver un peu de la chaleur perdue. C’était donc cela, mourir ? c’était ce plus jamais, ces bras tremblants refermés sur une ombre, qui ne laissait d’elle qu’un regret épouvanté.

Sa pauvre mère, il la perdait de nouveau, à chaque heure, toutes les fois que la morte se dressait en lui. D’abord, il n’avait pas tant souffert, ni quand sa cousine était descendue se jeter dans ses bras, ni pendant la longue cruauté de l’enterrement. Il ne sentait l’affreuse perte que depuis son retour dans la maison vide ; et son chagrin s’exaspérait du remords de n’avoir pas pleuré davantage, sous le coup de l’agonie, lorsque quelque chose de la disparue était encore là. La crainte de n’avoir pas aimé sa mère le torturait, l’étranglait parfois d’une crise de sanglots. Il l’évoquait sans cesse, il était hanté par son image. S’il montait l’escalier, il s’attendait à la voir sortir de sa chambre, du petit pas rapide dont elle traversait le corridor. Souvent, il se retournait, croyant l’entendre, si rempli d’elle, qu’il finissait par avoir l’hallucination d’un bout de robe coulant derrière une porte. Elle n’était pas fâchée, elle ne le regardait même pas ; ce n’était qu’une apparition familière, une ombre de la vie d’autrefois.