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— Ah ! monsieur Lazare, cria-t-il, c’est fichu, cette fois !… Elle vous casse vos machines.

On ne pouvait voir la mer, de cet angle de la route. Le jeune homme, qui avait levé la tête, venait d’apercevoir Véronique debout sur la terrasse, les yeux vers la plage. De l’autre côté, abrité contre le mur de son jardin, dans la crainte que le vent ne fendît sa soutane, l’abbé Horteur regardait aussi. Il se pencha pour crier à son tour :

— Ce sont vos épis qu’elle nettoie !

Alors, Lazare descendit la côte, et Pauline le suivit, malgré le temps affreux. Quand ils débouchèrent au bas de la falaise, ils restèrent saisis du spectacle qui les attendait. La marée, une des grandes marées de septembre, montait avec un fracas épouvantable ; elle n’était pourtant pas annoncée comme devant être dangereuse ; mais la bourrasque qui soufflait du nord depuis la veille, la gonflait si démesurément, que des montagnes d’eau s’élevaient de l’horizon, et roulaient, et s’écroulaient sur les roches. Au loin, la mer était noire, sous l’ombre des nuages, galopant dans le ciel livide.

— Remonte, dit le jeune homme à sa cousine. Moi, je vais donner un coup d’œil, et je reviens tout de suite.

Elle ne répondit pas, elle continua de le suivre jusqu’à la plage. Là, les épis et une grande estacade, qu’on avait construite dernièrement, soutenaient un effroyable assaut. Les vagues, de plus en plus grosses, tapaient comme des béliers, l’une après l’autre ; et l’armée en était innombrable, toujours des masses nouvelles se ruaient. De grands dos verdâtres, aux crinières d’écume, moutonnaient à l’infini, se rapprochaient sous une poussée géante ;