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Pauline, malgré son trouble, avait fini par trouver et par allumer une bougie. Elle ne tenta pas de le consoler, heureuse de ses larmes. Une tâche pénible lui restait, celle d’avertir son oncle. Mais, comme elle se décidait à passer dans la salle à manger, où Véronique avait porté une lampe dès le crépuscule, l’abbé Horteur venait, par de longues phrases ecclésiastiques, d’amener Chanteau à cette idée que sa femme était perdue et qu’il y avait seulement là une question d’heures. Aussi, quand le vieillard vit entrer sa nièce, bouleversée, les yeux rouges, devina-t-il la catastrophe. Son premier cri fut :

— Mon Dieu ! je n’aurais demandé qu’une chose, la revoir vivante une fois encore… Ah ! ces saletés de jambes ! ces saletés de jambes !

Il ne sortit guère de là. Il pleurait des petites larmes vite séchées, poussait de faibles soupirs de malade ; et il revenait vite à ses jambes, les injuriait, en arrivait à se plaindre lui-même. Un instant, on discuta la possibilité de le monter au premier étage, pour qu’il pût embrasser la morte ; puis, outre la difficulté d’une telle besogne, on jugea dangereux de lui donner l’émotion de cet adieu suprême, qu’il n’exigeait plus d’ailleurs. Et il demeura dans la salle à manger, devant le damier en désordre, ne sachant à quoi occuper ses pauvres mains d’infirme, n’ayant pas même assez de tête, disait-il, pour lire et comprendre son journal. Quand on le coucha, des souvenirs lointains durent s’éveiller, car il pleura beaucoup.

Alors, deux longues nuits et un jour sans fin s’écoulèrent, ces heures terribles où la mort habite le foyer. Cazenove n’avait reparu que pour constater le décès, surpris une fois de plus d’une fin si rapide.