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Et elle se débattait sur ses oreillers, tandis que Pauline la maintenait.

— Ma tante, il n’y a personne, il n’y a que nous.

— Non, non, écoutez, la voilà… Mon Dieu ! je vais mourir, la coquine m’a tout fait boire… Je vais mourir ! je vais mourir !

Ses dents claquaient, elle se réfugiait entre les bras de sa nièce, qu’elle ne reconnaissait pas. Celle-ci la serrait douloureusement sur son cœur, cessant de combattre l’abominable soupçon, se résignant à le lui laisser emporter dans la terre.

Heureusement, Véronique veillait. Elle avança les mains, en murmurant :

— Mademoiselle, prenez garde !

C’était la crise finale. Madame Chanteau, d’un violent effort, avait réussi à jeter ses jambes enflées hors du lit ; et, sans l’aide de la bonne, elle serait tombée par terre. Une folie l’agitait, elle ne poussait plus que des cris inarticulés, les poings serrés comme pour une lutte corps à corps, ayant l’air de se défendre contre une vision qui la tenait à la gorge. Dans cette minute dernière, elle dut se voir mourir, elle rouvrit des yeux intelligents, dilatés par l’horreur. Une souffrance affreuse lui fit un instant porter les mains à sa poitrine. Puis, elle retomba sur les oreillers et devint noire. Elle était morte.

Il y eut un grand silence. Pauline, épuisée, voulut encore lui fermer les yeux : c’était le terme qu’elle avait fixé à ses forces. Quand elle quitta la chambre, laissant comme garde, avec Véronique, la femme Prouane qu’elle avait envoyé chercher après la visite du docteur, elle se sentit défaillir dans l’escalier ; et elle dut s’asseoir un moment sur une