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touffe. Je n’ai rien, je me serais levée ce matin, si tu n’avais pas fait fondre du vert-de-gris dans mon bouillon, hier soir… Oui, tu as assez de moi, tu voudrais m’enterrer. Mais je suis solide, c’est moi qui t’enterrerai.

Ses paroles s’embarrassaient de plus en plus, elle suffoquait, et ses lèvres devenaient si noires, qu’une catastrophe immédiate semblait à craindre.

— Oh ! ma tante, ma tante, murmura Pauline terrifiée, si tu savais comme tu te fais du mal !

— Eh bien ! c’est ce que tu veux, n’est-ce pas ? Va, je te connais, ton plan est arrêté depuis longtemps, tu es entrée ici dans l’unique but de nous assassiner et de nous dépouiller. Ton idée est d’avoir la maison, et je te gêne… Ah ! gueuse, j’aurais dû t’écraser le premier jour… Je te hais ! je te hais !

Pauline, immobile, pleurait silencieusement. Un seul mot revenait sur ses lèvres, comme une protestation involontaire.

— Mon Dieu !… mon Dieu !

Mais madame Chanteau s’épuisait, et une terreur d’enfant succédait à la violence de ses attaques. Elle était retombée sur ses oreillers.

— Ne m’approche pas, ne me touche pas… Je crie au secours, si tu me touches… Non, non, je ne veux pas boire. C’est du poison.

Et elle ramenait les couvertures de ses mains crispées, et elle se cachait derrière les oreillers, roulant la tête, fermant la bouche. Lorsque sa nièce, éperdue, s’avança pour la calmer, elle poussa des hurlements.

— Ma tante, sois raisonnable… Je ne te ferai rien boire malgré toi.

— Si, tu as la bouteille… Oh ! j’ai peur ! oh ! j’ai peur !