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Navrée, la jeune fille devait se tenir à distance ; et elle chancelait de fatigue et de chagrin, elle succombait de bonté impuissante. Pour faire agréer le moindre soin, il lui fallait supporter des rudesses, des accusations qui la mettaient en larmes. Parfois, vaincue, elle tombait sur une chaise, elle pleurait, ne sachant plus comment ramener à elle cette ancienne affection tournée à la rage. Puis, la résignation lui revenait, et elle s’ingéniait encore, elle redoublait de douceur. Mais, ce jour-là, son insistance détermina une crise dont elle resta longtemps tremblante.

— Ma tante, dit-elle en préparant la cuiller, voici l’heure de ta potion. Tu sais que le médecin t’a bien recommandé de la prendre exactement.

Madame Chanteau voulut voir la bouteille qu’elle finit par sentir.

— C’est la même qu’hier ?

— Oui, ma tante.

— Je n’en veux pas.

Pourtant, à force de supplications caressantes, sa nièce obtint qu’elle en avalerait encore une cuillerée. Le visage de la malade exprimait une grande méfiance. Et, dès qu’elle eut la cuillerée dans la bouche, elle la cracha violemment par terre, secouée d’un accès de toux, bégayant au milieu des hoquets :

— C’est du vitriol, ça me brûle.

Son exécration et sa terreur de Pauline, peu à peu grandies depuis le jour où elle lui avait pris une première pièce de vingt francs, éclataient enfin dans le suprême détraquement de son mal, en un flot de paroles folles ; tandis que la jeune fille, saisie, l’écoutait, sans trouver un mot de défense.

— Si tu crois que je ne le sens pas ! Tu mets du cuivre et du vitriol dans tout… C’est ça qui m’é-