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de la mourante. Dès qu’elle s’assoupissait, il lui semblait que ce souffle ébranlait la maison et que tout allait craquer. Puis, les yeux ouverts, elle était prise d’oppression, elle revivait les tourments qui avaient gâté sa vie, depuis quelques mois. Même à côté de ce lit de mort, la paix ne se faisait pas en elle, il lui était impossible de pardonner. Dans le demi-cauchemar de la veillée lugubre, elle souffrait surtout des confidences de Véronique. Ses violences de jadis, ses rancunes jalouses, s’éveillaient aux détails qu’elle remâchait péniblement. Ne plus être aimée, mon Dieu ! se voir trahie par ceux qu’on aime ! se retrouver seule, pleine de mépris et de révolte ! Sa plaie rouverte saignait, jamais elle n’avait senti à ce point l’injure de Lazare. Puisqu’ils l’avaient tuée, les autres pouvaient mourir. Et sans cesse le vol de son argent et de son cœur recommençait, dans l’obsession du souffle fort de sa tante, qui finissait par lui casser la poitrine.

Au jour, Pauline resta combattue. L’affection ne revenait pas, seul le devoir la tenait dans cette chambre. Cela achevait de la rendre malheureuse : allait-elle donc devenir mauvaise, elle aussi ? La journée se passa dans ce trouble, elle s’empressait, mécontente d’elle, rebutée par les méfiances de la malade. Celle-ci accueillait ses prévenances d’un grognement, la poursuivait d’un œil soupçonneux, regardant derrière elle ce qu’elle faisait. Si elle lui demandait un mouchoir, elle le flairait avant de s’en servir, et quand elle la voyait apporter une bouteille d’eau chaude, elle voulait toucher la bouteille.

— Qu’a-t-elle donc ? disait tout bas la jeune fille à la bonne. Est-ce qu’elle me croit capable de lui faire du mal ?