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son pot-au-feu, pour cacher l’émotion qui l’étranglait aussi. Elle finit par reprendre :

— Tenez ! monsieur Lazare, vous devriez descendre un peu sur la plage. Vous me gênez, à être toujours là, dans mes jambes… Et emmenez donc Mathieu. Il est assommant, lui aussi ne sait plus que faire de son corps, et j’ai toutes les peines du monde à l’empêcher de monter chez Madame.

Le lendemain, le docteur Cazenove se montra encore hésitant. Une catastrophe brusque était possible, ou peut-être la malade allait-elle se remettre pour un temps plus ou moins long, si l’œdème diminuait. Il renonça à la saignée, se contenta de prescrire les pilules qu’il apportait, sans cesser l’emploi de la teinture de digitale. Son attitude chagrine, sourdement irritée, confessait qu’il croyait peu à ces remèdes, dans un de ces cas organiques, où le détraquement successif de tous les organes rend inutile la science du médecin. D’ailleurs, il affirmait que la malade ne souffrait point. En effet, madame Chanteau ne se plaignait d’aucune douleur vive ; ses jambes étaient d’une lourdeur de plomb, elle suffoquait de plus en plus, dès qu’elle bougeait ; mais, étendue sur le dos, immobile, elle avait toujours sa voix forte, ses yeux vifs, qui l’illusionnaient elle-même. Autour d’elle, personne, excepté son fils, ne se résignait à désespérer, en la voyant si brave. Quand le docteur remonta dans sa voiture, il leur dit de ne pas trop se plaindre, car c’était déjà une grâce, pour soi et pour les siens, que de ne pas se voir mourir.

La première nuit venait d’être dure pour Pauline. À demi allongée dans un fauteuil, elle n’avait pu dormir, les oreilles bourdonnantes du souffle fort