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elle arrivait à se vaincre, au point de retrouver son attitude de fille active ; mais ce beau calme courageux cachait une torture de toutes les minutes, elle sanglotait dans sa chambre, le soir, étouffant ses cris au fond de son oreiller. Personne ne parlait du mariage, bien que tout le monde y songeât, visiblement. L’automne approchait, qu’allait-on faire ? Chacun évitait de se prononcer, on paraissait renvoyer la décision à plus tard, lorsqu’on oserait en causer de nouveau.

Ce fut l’époque de sa vie où madame Chanteau acheva de perdre sa tranquillité. De tout temps, elle s’était dévorée elle-même ; mais le sourd travail qui émiettait en elle les bons sentiments semblait arrivé à la période extrême de destruction ; et jamais elle n’avait paru si déséquilibrée, ravagée d’une telle fièvre nerveuse. La nécessité où elle était de se contraindre, exaspérait son mal davantage. Elle souffrait de l’argent, c’était comme une rage de l’argent, grandie peu à peu, emportant la raison et le cœur. Toujours elle retombait sur Pauline, elle l’accusait maintenant du départ de Louise, ainsi que d’un vol qui aurait dépouillé son fils. Il y avait là une plaie saignante qui refusait de se fermer ; les moindres faits grossissaient, elle n’oubliait pas un geste, elle entendait encore le cri : « Va-t’en ! » et elle s’imaginait qu’on la chassait aussi, qu’on jetait à la rue la joie et la fortune de la famille. La nuit, lorsqu’elle s’agitait dans un demi-sommeil plein de malaise, elle en venait à regretter que la mort ne les eût pas débarrassés de cette Pauline maudite. Des plans se heurtaient en elle, des calculs compliqués, sans qu’elle trouvât le moyen raisonnable de supprimer la jeune fille. En même temps, une sorte de réaction redoublait