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LES ROUGON-MACQUART.

— Encore ta musique ! Tu ne peux donc nous donner une soirée, même le jour de mon retour ?

— Mais, maman, je ne m’en vais pas, je reste avec toi… Tu sais bien que ça ne m’empêche pas de causer. Va, va, dis-moi quelque chose, je te répondrai.

Et il s’entêta, couvrant de ses papiers une moitié de la table. Chanteau s’était allongé douillettement dans son fauteuil, les mains abandonnées. Devant le feu, Mathieu s’endormait ; pendant que Minouche, remontée d’un bond sur le tapis, faisait une grande toilette, une cuisse en l’air, se léchant avec précaution le poil du ventre. Une bonne intimité semblait tomber de la suspension de cuivre, et bientôt Pauline, qui souriait de ses yeux demi-clos à sa nouvelle famille, ne put résister au sommeil, brisée de lassitude, engourdie par la chaleur. Elle laissa glisser sa tête, s’assoupit dans le creux de son bras replié, en plein sous la clarté tranquille de la lampe. Ses paupières fines étaient comme un voile de soie tiré sur son regard, un petit souffle régulier sortait de ses lèvres pures.

— Elle ne doit plus tenir debout, dit madame Chanteau en baissant la voix. Nous la réveillerons pour qu’elle prenne son thé, et nous la coucherons.

Alors, un silence régna. Dans le grondement de la tempête, on n’entendait que la plume de Lazare. C’était une grande paix, la somnolence des vieilles habitudes, la vie ruminée chaque soir à la même place. Longtemps, le père et la mère se regardèrent sans rien dire. Enfin, Chanteau demanda avec hésitation :

— Et à Caen, Davoine aura-t-il un bon inventaire ?

Elle haussa furieusement les épaules.