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LA JOIE DE VIVRE.

porte de Pauline. Elle l’entendit marcher d’un pas pressé, ouvrant et fermant des meubles. Son idée fut un instant d’entrer et de provoquer une explication, qui noierait tout dans des larmes. Mais elle eut peur, elle se sentit bégayante et rougissante devant cette enfant, ce qui augmenta sa haine. Et, au lieu de frapper, elle descendit à la cuisine, en étouffant le bruit de ses pas. Une idée lui était venue.

— As-tu entendu la scène que Mademoiselle vient encore de nous faire ? demanda-t-elle à Véronique, qui s’était mise à nettoyer rageusement ses cuivres.

La bonne, le nez baissé dans le tripoli, ne répondit pas.

— Elle devient insupportable. Moi, je ne puis plus en rien tirer… Imagine-toi qu’elle veut nous quitter à présent ; oui, elle est en train de prendre ses affaires… Si tu montais, toi ? si tu essayais de la raisonner ?

Et, comme elle n’obtenait toujours pas de réponse :

— Es-tu sourde ?

— Si je ne réponds pas, c’est que je ne veux pas ! cria brusquement Véronique, hors d’elle, en train de frotter un bougeoir à s’écorcher les doigts. Elle a raison de partir, il y a longtemps qu’à sa place j’aurais fiché le camp.

Madame Chanteau l’écoutait, bouche béante, stupéfaite de ce flot débordé de paroles.

— Moi, madame, je ne suis pas bavarde ; mais faut pas me pousser, parce que alors je dis tout… C’est comme ça, je l’aurais flanquée à la mer, le jour où vous l’avez apportée, cette petite ; seulement, je ne peux pas souffrir qu’on fasse du mal au monde, et vous êtes tous à la martyriser tellement, que je finirai un jour par allonger des calottes au premier qui