Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/182

Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
LES ROUGON-MACQUART.

celle-ci malade encore la retenait à piétiner dans sa cuisine, brutalisant ses marmites, jurant que ça ne pouvait pas durer, qu’elle éclaterait une bonne fois. Puis, en haut, dès qu’un mot inquiétant lui échappait, elle tâchait de le rattraper, elle l’expliquait avec une maladresse touchante.

— Dieu merci ! monsieur Lazare ne les aime pas, les os ! Il est allé à Paris, il a trop bon goût… Vous voyez, il vient de la remettre par terre, comme s’il jetait une allumette.

Et Véronique, craignant de lâcher d’autres choses inutiles, brandissait le plumeau pour achever le ménage ; tandis que Pauline, absorbée, suivait jusqu’au soir, à l’horizon, la robe bleue de Louise et le veston blanc de Lazare au milieu des taches sombres des ouvriers.

Comme la convalescence s’achevait enfin, Chanteau fut pris d’un violent accès de goutte, qui décida la jeune fille à descendre, malgré sa faiblesse. La première fois qu’elle sortit de sa chambre, ce fut pour aller s’asseoir au chevet d’un malade. Ainsi que madame Chanteau le disait avec rancune, la maison était un vrai hôpital. Depuis quelque temps, son mari ne quittait plus la chaise longue. À la suite de crises répétées, son corps entier se prenait, le mal montait des pieds aux genoux, puis aux coudes et aux mains. La petite perle blanche de l’oreille était tombée ; d’autres, plus fortes, avaient paru ; et toutes les jointures se tuméfiaient, la craie des tophus perçait partout sous la peau, en pointes blanchâtres, pareilles à des yeux d’écrevisse. C’était maintenant la goutte chronique, inguérissable, la goutte qui ankylose et qui déforme.

— Mon Dieu ! que je souffre ! répétait Chanteau.