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LA JOIE DE VIVRE.

nerai jamais à une folle qui rognera sur la nourriture, pour se ruiner en bêtises !

— Oh ! l’argent ne signifie rien, répondait Louise, dont les yeux se baissaient. Cependant, il en faut.

Sans qu’il fût plus nettement question de sa dot, les deux cent mille francs semblaient être là, sur la table, éclairés par la lueur dormante de la suspension. C’était à les sentir, à les voir, que madame Chanteau s’enfiévrait ainsi, écartant du geste les soixante pauvres mille francs de l’autre, rêvant de conquérir cette dernière venue, avec sa fortune intacte. Elle avait remarqué le coup de désir de son fils, avant les ennuis qui le retenaient en haut. Si la jeune fille l’aimait également, pourquoi ne pas les marier ensemble ? Le père consentirait, surtout dans un cas de passion partagée. Et elle soufflait sur cette passion, elle passait le reste de la soirée à murmurer des phrases troublantes.

— Mon Lazare est si bon ! Personne ne le connaît. Toi-même, Louisette, tu ne peux te douter combien il est tendre… Ah ! je ne plaindrai pas sa femme ! Elle est sûre d’être aimée, celle-là !… Et bien portant toujours ! Une peau de poulet. Mon aïeul, le chevalier de la Vignière, avait la peau si blanche, qu’il se décolletait comme une femme, dans les bals masqués de son temps.

Louise rougissait, riait, très amusée de ces détails. La cour que la mère lui faisait pour le fils, ces confidences d’entremetteuse honnête qui pouvaient aller loin entre deux femmes, l’auraient retenue là toute la nuit. Mais Chanteau finissait par s’endormir sur son journal.

— Est-ce qu’on ne va pas bientôt se coucher ? demandait-il en bâillant.