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LES ROUGON-MACQUART.

Et, si elle se ruine, qui voudra d’elle, comment fera-t-elle pour vivre ?

Véronique, du coup, ne pouvait se contenir.

— J’espère bien que Madame ne la mettrait pas à la porte.

— Hein ! quoi ? reprenait furieusement sa maîtresse, que vient-elle nous chanter, celle-là ?… Il n’est bien sûr pas question de mettre quelqu’un à la porte. Jamais je n’ai mis personne à la porte… Je dis que, lorsqu’on a hérité d’une fortune, rien ne me paraît plus sot que de la gâcher et de retomber à la charge des autres… Va donc voir dans ta cuisine si j’y suis, ma fille !

La bonne s’en allait, en mâchant de sourdes protestations. Et il se faisait un silence, pendant que Louise servait le thé. On n’entendait plus que le petit craquement du journal, dont Chanteau lisait jusqu’aux annonces. Parfois, ce dernier échangeait quelques mots avec la jeune fille.

— Va, tu peux ajouter un morceau de sucre… As-tu reçu enfin une lettre de ton père ?

— Ah ! oui, jamais ! répondait-elle en riant. Mais, vous savez, si je vous gêne, je puis partir. Vous êtes assez encombrés déjà avec Pauline malade… Je voulais me sauver, c’est vous qui m’avez retenue.

Il tâchait de l’interrompre.

— On ne te parle pas de ça. Tu es trop aimable de nous tenir compagnie, en attendant que la pauvre enfant puisse redescendre.

— Je me réfugie à Arromanches, jusqu’à l’arrivée de mon père, si vous ne voulez plus de moi, continua-t-elle, sans paraître l’entendre, pour le taquiner. Ma tante Léonie a loué un chalet ; et il y a du monde là-bas, une plage où l’on peut se baigner