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jamais ils n’avaient senti leurs êtres se confondre à ce point.

Lazare, un matin, au lever du soleil, s’étonna du calme où l’idée de la mort le laissait. Il tâcha de se rappeler les dates : depuis le jour où Pauline était tombée malade, il n’avait pas une seule fois senti, de son crâne à ses talons, passer l’horreur froide de ne plus être. S’il tremblait de perdre sa compagne, c’était une autre épouvante, où il n’entrait rien de la destruction de son moi. Le cœur saignait en lui, mais il semblait que cette bataille, livrée à la mort, l’égalait à elle, lui donnait le courage de la regarder en face. Peut-être aussi n’y avait-il que de la fatigue et de l’hébétement, dans le sommeil qui engourdissait sa peur. Il ferma les yeux pour ne pas voir le soleil grandir, il voulut retrouver son frisson d’angoisse, en s’excitant à la crainte, en se répétant que lui aussi mourrait un jour : rien ne répondit, cela lui était devenu indifférent, les choses avaient pris une légèreté singulière. Son pessimisme même sombrait devant ce lit de douleur ; au lieu de l’enfoncer dans la haine du monde, sa révolte contre la douleur n’était que le désir ardent de la santé, l’amour exaspéré de la vie. Il ne parlait plus de faire sauter la terre comme une vieille construction inhabitable ; la seule image qui le hantait, était Pauline bien portante, s’en allant à son bras, sous un gai soleil ; et il n’avait qu’un besoin, l’emmener encore, rieuse, le pied solide, par les sentiers où ils avaient passé.

Ce fut ce jour-là que Lazare crut la mort venue. Dès huit heures, la malade se trouva prise de nausées, chaque effort déterminait une crise d’étouffement très inquiétante. Bientôt des frissons parurent, elle