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— Va, je sais bien ce que j’ai… Et j’aime mieux savoir, pour vous embrasser tous au moins.

Alors, Lazare se fâcha : c’était fou, des idées pareilles ! avant une semaine, elle serait sur pied ! Il lui lâcha la main, il se sauva dans sa chambre sous un prétexte, car les sanglots l’étranglaient. Là, dans l’obscurité, il s’abandonna, tombé en travers du lit, où il ne couchait plus. Une certitude affreuse lui avait serré le cœur tout d’un coup : Pauline allait mourir, peut-être ne passerait-elle pas la nuit. Et l’idée qu’elle le savait, que son silence jusque-là était une bravoure de femme ménageant dans la mort même la sensibilité des autres, achevait de le désespérer. Elle le savait, elle verrait venir l’agonie, et il serait là, impuissant. Déjà, il se croyait aux derniers adieux, la scène se déroulait avec des détails lamentables, sur les ténèbres de la chambre. C’était la fin de tout, il prit l’oreiller entre ses bras convulsifs, il y enfonça la tête, pour étouffer le hoquet de ses larmes.

Cependant, la nuit se termina sans catastrophe. Deux journées passèrent encore. Mais, à présent, il y avait entre eux un nouveau lien, la mort toujours présente. Elle ne faisait plus aucune allusion à la gravité de son état, elle trouvait la force de sourire ; lui-même parvenait à feindre une tranquillité parfaite, un espoir de la voir se lever d’une heure à l’autre ; et, pourtant, chez elle comme chez lui, tout se disait adieu, continuellement, dans la caresse plus longue de leurs regards qui se rencontraient. La nuit surtout, lorsqu’il veillait près d’elle, ils finissaient l’un et l’autre par s’entendre penser, la menace de l’éternelle séparation attendrissait jusqu’à leur silence. Rien n’était d’une douceur si cruelle,