Page:Emile Zola - La Joie de vivre.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ses mains de fer tremblaient, son habitude de la mort défaillait, à la crainte d’une issue fatale. Aussi, voulant cacher cette émotion indigne, tâchait-il d’affecter le mépris de la souffrance. On naissait pour souffrir, à quoi bon s’en émouvoir ?

Chaque matin, Lazare lui disait :

— Essayez quelque chose, docteur, je vous en supplie… C’est affreux, elle ne peut même plus s’assoupir un instant. Toute la nuit, elle a crié.

— Mais, tonnerre de Dieu ! ce n’est pas ma faute, finissait-il par répondre, exaspéré. Je ne puis pourtant pas lui couper le cou, histoire de la guérir.

Le jeune homme se fâchait à son tour.

— Alors, la médecine ne sert à rien.

— À rien du tout, lorsque la machine se détraque… La quinine coupe la fièvre, une purge agit sur les intestins, on doit saigner un apoplectique… Et, pour le reste, c’est au petit bonheur. Il faut s’en remettre à la nature.

C’étaient là des cris arrachés par la colère de ne savoir comment agir. D’habitude, il n’osait nier la médecine si carrément, tout en ayant trop pratiqué pour ne pas être sceptique et modeste. Il perdait des heures entières, assis près du lit, à étudier la malade ; et il repartait sans même laisser une ordonnance, les poings liés, ne pouvant qu’assister à l’entier développement de cet abcès, qui, pour une ligne de moins ou une ligne de plus, allait être la vie ou la mort.

Lazare se traîna huit jours entiers, dans des transes terribles. Lui aussi, attendait de minute en minute l’arrêt de la nature. À chaque respiration pénible, il croyait que tout finissait. Le phlegmon se matérialisait en une image vive, il le voyait énorme,