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épouvantable, une vie de chien dans une saleté sans nom. Et le pis est que le père, après avoir tué sa femme de coups, a épousé sa bonne, une affreuse fille plus dure que lui. Maintenant, à eux deux, ils massacrent ce pauvre être.

Et, sans remarquer la répugnance inquiète de son amie, elle haussa la voix.

— À toi, petite, as-tu bien bu ta bouteille de quinquina ?

Celle-ci était la fille de Prouane, le bedeau. On aurait dit une sainte Thérèse enfant, couverte de scrofules, d’une maigreur ardente, avec de gros yeux à fleur de tête, où l’hystérie flambait déjà. Elle avait onze ans et en paraissait à peine sept.

— Oui, mademoiselle, bégaya-t-elle, j’ai bu.

— Menteuse ! cria le curé, sans quitter le damier du regard. Ton père sentait encore le vin, hier soir.

Du coup, Pauline se fâcha. Les Prouane n’avaient pas de barque, ramassaient des crabes et des moules, vivaient de la pêche aux crevettes. Mais, grâce à la place de bedeau, ils auraient encore mangé du pain tous les jours, sans leur ivrognerie. On trouvait le père et la mère en travers des portes, assommés par le calvados, la terrible eau-de-vie normande ; tandis que la petite les enjambait, pour égoutter leurs verres. Quand le calvados manquait, Prouane buvait le vin de quinquina de sa fille.

— Moi qui prends la peine de le fabriquer ! disait Pauline. Écoute, je garde la bouteille, tu viendras le boire ici tous les soirs, à cinq heures… Et je te donnerai un peu de viande crue hachée, c’est le docteur qui l’ordonne.

Puis, arriva le tour d’un grand garçon de douze ans, le fils Cuche, un galopin efflanqué, maigre de