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LES ROUGON-MACQUART.

nous ne sommes pas mouillées dessous… Ôte ton manteau et ton chapeau, ma chérie. Débarrasse-la donc, Véronique… Et déchausse-la, n’est-ce pas ? J’ai ici ce qu’il faut.

La bonne dut s’agenouiller devant l’enfant, qui s’était assise. Pendant ce temps, la vieille dame tirait de son sac une paire de petits chaussons de feutre, qu’elle lui mit elle-même aux pieds. Puis, elle se fit déchausser à son tour, et plongea de nouveau dans le sac, d’où elle revint avec une paire de savates pour elle.

— Alors, je sers ? demanda encore Véronique.

— Tout à l’heure… Pauline, viens dans la cuisine te laver les mains et te passer de l’eau sur la figure… Nous mourons de faim, plus tard on se décrassera à fond.

Ce fut Pauline qui reparut la première, laissant sa tante le nez dans une terrine. Chanteau avait repris sa place devant le feu, au fond de son grand fauteuil de velours jaune ; et il se frottait les jambes d’un geste machinal, avec la peur d’une crise prochaine, tandis que Lazare coupait des tranches de pain, debout devant la table, où quatre couverts étaient mis depuis plus d’une heure. Les deux hommes, un peu gênés, souriaient à l’enfant, sans trouver une parole. Elle, tranquillement, examinait la salle meublée de noyer, passant du buffet et de la demi-douzaine de chaises à la suspension de cuivre verni, retenue surtout par cinq lithographies encadrées, les Saisons et une Vue du Vésuve, qui se détachaient sur le papier marron des murailles. Sans doute le faux lambris de chêne peint, égratigné d’éraflures plâtreuses, le parquet sali d’anciennes taches de graisse, l’abandon de cette pièce commune où la famille