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nous surprendre, la semaine prochaine… Je ne la reconnaissais pas, elle vit chez son père à présent, et elle devient d’une élégance !… Oh ! nous avons ri !

Pauline le regardait, étonnée de l’émotion chaude de sa voix.

— Tiens ! en parlant de Louise, s’écria madame Chanteau, j’ai voyagé avec une dame de Caen qui connaît les Thibaudier. Je suis tombée de mon haut, Thibaudier donnerait une dot de cent mille francs à sa fille. Avec les cent mille francs de sa mère, la petite en aurait deux cent mille… Hein ? deux cent mille francs, la voilà riche !

— Bah ! reprit Lazare, elle n’a pas besoin de ça, elle est jolie comme un amour… Et si chatte !

Les yeux de Pauline s’étaient assombris, une légère contraction nerveuse serrait ses lèvres. Alors, le docteur, qui ne la quittait pas du regard, leva le petit verre de rhum qu’il achevait.

— Dites donc, nous n’avons pas trinqué… Oui, à votre bonheur, mes amis. Mariez-vous vite, et ayez beaucoup d’enfants.

Madame Chanteau avança lentement son verre, sans un sourire, tandis que Chanteau, auquel les liqueurs étaient défendues, se contentait de hocher la tête, d’un air d’approbation. Mais Lazare venait de saisir la main de Pauline, dans un geste d’abandon charmant, qui avait suffi pour rendre aux joues de la jeune fille tout le sang de son cœur. N’était-elle pas le bon ange, comme il la nommait, la passion toujours ouverte d’où il ferait couler le sang de son génie ? Elle lui rendit son étreinte. Tous trinquèrent.

— À vos cent ans ! continuait le docteur, qui avait pour théorie que cent ans sont le bel âge de l’homme.