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et lui recopiait proprement les morceaux. Cette fois, il tenait son chef-d’œuvre, il en était sûr.

Pourtant, Lazare finit par se calmer. Il ne lui restait qu’à écrire le début, dont l’inspiration le fuyait. Tout cela devait dormir. Et il fuma des cigarettes devant sa partition étalée sur la grande table. Pauline, à son tour, en jouait des phrases, avec des maladresses d’élève. Ce fut à ce moment que leur intimité devint dangereuse. Lui, n’avait plus le cerveau pris, les membres fatigués des tracas de l’usine ; et, maintenant qu’il se trouvait enfermé près d’elle, inoccupé, le sang tourmenté de paresse, il l’aimait d’une tendresse croissante. Elle était si gaie, si bonne ! elle se dévouait si joyeusement ! Il avait d’abord cru céder à un simple élan de gratitude, à un redoublement de cette affection fraternelle, qu’elle lui inspirait depuis l’enfance. Mais, peu à peu, le désir, endormi jusque-là, s’était éveillé : il voyait enfin une femme, dans ce frère cadet, dont il avait si longtemps bousculé les épaules larges, sans être troublé par leur odeur. Alors, il se mit à rougir comme elle, quand il l’effleurait. Il n’osait plus s’approcher, se pencher derrière son dos pour donner un coup d’œil à la musique qu’elle copiait. Si leurs mains se rencontraient, ils demeuraient tous les deux balbutiants, l’haleine courte, les joues brûlées d’une flamme. Désormais, les après-midi entières passaient ainsi dans un malaise, d’où ils sortaient brisés, tourmentés du besoin confus d’un bonheur qui leur manquait.

Parfois, afin d’échapper à un de ces embarras dont ils souffraient délicieusement, Pauline plaisantait, avec sa belle hardiesse de vierge savante.

— Ah ! je ne t’ai pas dit ? j’ai rêvé que ton Scho-