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il s’emporta, déclara qu’il allait se faire paysan, entassa des projets fous de fortune immédiate, rougissant du pain qu’il mangeait, ne voulant pas rester une heure de plus à la charge de sa famille. Puis, les journées passèrent, il remettait toujours à plus tard l’exécution de ses idées, il se contentait de changer chaque matin son plan, le plan qui devait en quelques bonds le mener au sommet des honneurs et des richesses. Elle, effrayée par les fausses confidences de sa tante, le bousculait alors : est-ce qu’on lui demandait de se casser la tête ainsi ? il chercherait une position au printemps, il la trouverait tout de suite ; mais, jusque-là, on le forcerait bien à prendre du repos. Dès la fin du premier mois, elle parut l’avoir dompté, il était tombé dans une oisiveté vague, dans une résignation goguenarde à ce qu’il appelait « les embêtements de l’existence ».

Chaque jour davantage, Pauline sentait chez Lazare un inconnu troublant, qui la révoltait. Elle regrettait les colères, les feux de paille dont il brûlait trop vite, quand elle le voyait ricaner de tout, professer le néant d’une voix blanche et aigre. C’était, dans la paix de l’hiver, au fond de ce trou perdu de Bonneville, comme un réveil de ses anciennes relations de Paris, de ses lectures, de ses discussions entre camarades d’École. Le pessimisme avait passé par là, un pessimisme mal digéré, dont il ne restait que les boutades de génie, la grande poésie noire de Schopenhauer. La jeune fille comprenait bien que, sous ce procès fait à l’humanité, il y avait surtout, chez son cousin, la rage de la défaite, le désastre de l’usine dont la terre semblait avoir craqué. Mais elle ne pouvait descendre plus avant dans les causes, elle protestait ardemment, quand il repre-