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d’étonnement, ne comprenant pas ce raffinement romanesque ; il aurait pu être très riche, elle l’aurait épousé quand même puisqu’elle l’aimait ; et, d’ailleurs, combien faudrait-il attendre ? toujours peut-être. Mais madame Chanteau se récriait, elle se chargeait de vaincre ce sentiment exagéré de l’honneur, si l’on ne brusquait rien. En terminant, elle fit jurer à Pauline de garder le silence, car elle craignait un coup de tête, un départ subit du jeune homme, le jour où il se saurait deviné, étalé, discuté. Pauline, prise d’inquiétude, dut se résoudre à patienter et à se taire.

Cependant, lorsque la peur de Saccard travaillait Chanteau, il disait à sa femme :

— Si ça doit tout arranger, marie-les donc, ces enfants.

— Rien ne presse, répondait-elle. Le danger n’est pas à la porte.

— Mais puisque tu les marieras un jour… Tu n’as pas changé d’idée, je pense ? Ils en mourraient.

— Oh ! ils en mourraient… Tant qu’une chose n’est pas faite, on peut ne pas la faire, si elle devient mauvaise. Et puis, quoi ? ils sont bien libres, nous verrons si ça leur plaît toujours autant.

Pauline et Lazare avaient recommencé leur ancienne vie commune, tous deux bloqués dans la maison par la rudesse d’un terrible hiver. La première semaine, elle le vit si triste, si honteux de lui et si enragé contre les choses, qu’elle le soigna comme un malade, avec des complaisances infinies ; même il y avait chez elle de la pitié pour ce grand garçon, dont la volonté courte, le courage simplement nerveux, expliquaient les avortements ; et elle prenait peu à peu sur lui une autorité grondeuse de mère. D’abord,