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pas la jeune fille elle-même qui avait écrit à son subrogé-tuteur, dans une idée de vengeance. Et, cette supposition ayant révolté son mari, elle imagina une histoire compliquée, des lettres anonymes lancées par la créature de Boutigny, cette gueuse qu’ils refusaient de recevoir et qui les mettait plus bas que terre, dans les boutiques de Verchemont et d’Arromanches.

— Ce que je me moque d’eux, après tout ! dit-elle. La petite n’a pas dix-huit ans, c’est vrai ; mais je n’ai qu’à la marier tout de suite avec Lazare, le mariage émancipe de plein droit.

— En es-tu sûre ? demanda Chanteau.

— Parbleu ! je le lisais encore dans le Code, ce matin.

En effet, madame Chanteau lisait le Code, maintenant. Ses derniers scrupules s’y débattaient, elle y cherchait des excuses ; puis, tout le travail sourd d’une captation légale l’intéressait, dans l’émiettement continu de son honnêteté, que la tentation de cette grosse somme, dormant près d’elle, avait détruite un peu à chaque heure.

Du reste, madame Chanteau ne se décidait pas à conclure le mariage. Après le désastre d’argent, Pauline aurait désiré hâter les choses : pourquoi attendre, pendant six mois, qu’elle eût dix-huit ans ? Il valait mieux en finir, sans vouloir que Lazare cherchât d’abord une position. Elle osa en parler à sa tante, qui, gênée, inventa un mensonge, fermant la porte, baissant la voix, pour lui confier un tourment secret de son fils : il était très délicat, il souffrait beaucoup de l’épouser, avant de lui apporter une fortune, maintenant qu’il avait compromis la sienne. La jeune fille l’écoutait, pleine