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Pauline, honteuse de son premier mouvement de fille économe et prudente, était redevenue très gaie, très bonne, comme si elle avait eu une faute à se faire pardonner. Aussi, lorsque Lazare apporta les cinq mille francs de billets, madame Chanteau triompha-t-elle. Il fallut que la jeune fille montât les mettre dans le tiroir.

— C’est toujours cinq mille francs de rattrapés, ma chère… Ils sont à toi, les voici. Mon fils n’a pas même voulu en garder un, pour toutes ses peines.

Depuis quelque temps, Chanteau se tourmentait dans son fauteuil de goutteux. Bien qu’il n’osât lui refuser une signature, la façon dont sa femme administrait la fortune de leur pupille, l’emplissait de crainte. Toujours le chiffre de cent mille francs sonnait à ses oreilles. Comment boucher un pareil trou, le jour où il aurait à rendre des comptes ? Et le pis était que le subrogé-tuteur, ce Saccard, qui emplissait alors Paris du tapage de ses spéculations, venait de se rappeler Pauline, après avoir paru l’oublier pendant près de huit ans. Il écrivait, demandait des nouvelles, parlait même de tomber un matin à Bonneville, en allant traiter une affaire à Cherbourg. Que répondre, s’il exigeait un état de situation, ainsi qu’il en avait le droit ? Son brusque réveil, à la suite d’une si longue indifférence, devenait menaçant.

Lorsque Chanteau aborda enfin ce sujet avec sa femme, il trouva celle-ci travaillée plus de curiosité que d’inquiétude. Un instant, elle avait flairé la vérité, en pensant que Saccard, au milieu du galop de ses millions, était peut-être sans un sou et songeait à se faire remettre l’argent de Pauline, pour le décupler. Puis, elle s’égara, elle se demanda si ce n’était