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LA FORTUNE DES ROUGON.

de hautes positions qu’elle ne précisait pas. Lorsque Rougon eut cédé et que les trois gamins furent entrés en huitième, Félicité goûta les plus vives jouissances de vanité qu’elle eût encore ressenties. Elle les écoutait avec ravissement parler entre eux de leurs professeurs et de leurs études. Le jour où l’aîné fit devant elle décliner Rosa, la rose, à un de ses cadets, elle crut entendre une musique délicieuse. Il faut le dire à sa louange, sa joie fut alors pure de tout calcul. Rougon lui-même se laissa prendre à ce contentement de l’homme illettré qui voit ses enfants devenir plus savants que lui. La camaraderie qui s’établit naturellement entre leurs fils et ceux des plus gros bonnets de la ville, acheva de griser les époux. Les petits tutoyaient le fils du maire, celui du sous-préfet, même deux ou trois jeunes gentilshommes que le quartier Saint-Marc avait daigné mettre au collége de Plassans. Félicité ne croyait pouvoir trop payer un tel honneur. L’instruction des trois gamins greva terriblement le budget de la maison Rougon.

Tant que les enfants ne furent pas bacheliers, les époux, qui les maintenaient au collége, grâce à d’énormes sacrifices, vécurent dans l’espérance de leur succès. Et même, lorsqu’ils eurent obtenu leur diplôme, Félicité voulut achever son œuvre ; elle décida son mari à les envoyer tous trois à Paris. Deux firent leur droit, le troisième suivit les cours de l’École de médecine. Puis, quand ils furent hommes, quand ils eurent mis la maison Rougon à bout de ressources et qu’ils se virent obligés de revenir se fixer en province, le désenchantement commença pour les pauvres parents. La province sembla reprendre sa proie. Les trois jeunes gens s’endormirent, s’épaissirent. Toute l’aigreur de sa malchance remonta à la gorge de Félicité. Ses fils lui faisaient banqueroute. Ils l’avaient ruinée, ils ne lui servaient pas les intérêts du capital qu’ils représentaient. Ce dernier coup de la destinée lui fut d’autant plus sensible qu’il l’atteignait à la fois dans ses am-