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LA CURÉE

devait penser d’un garçon qui avait de telles indignations et qui acceptait un pareil marché.

Cette première entrevue fut suivie d’une visite officielle que la tante Élisabeth fit à Aristide Saccard, à son appartement de la rue Payenne. Cette fois, elle venait au nom de M. Béraud. L’ancien magistrat avait refusé de voir « cet homme », comme il appelait le séducteur de sa fille, tant qu’il ne serait pas marié avec Renée, à laquelle il avait d’ailleurs également défendu sa porte. Madame Aubertot avait de pleins pouvoirs pour traiter. Elle parut heureuse du luxe de l’employé ; elle avait craint que le frère de cette madame Sidonie, aux jupes fripées, ne fût un goujat. Il la reçut, drapé dans une délicieuse robe de chambre. C’était l’heure où les aventuriers du 2 décembre, après avoir payé leurs dettes, jetaient dans les égouts leurs bottes éculées, leurs redingotes blanchies aux coutures, rasaient leur barbe de huit jours, et devenaient des hommes comme il faut. Saccard entrait enfin dans la bande, il se nettoyait les ongles et ne se lavait plus qu’avec des poudres et des parfums inestimables. Il fut galant ; il changea de tactique, se montra d’un désintéressement prodigieux. Quand la vieille dame parla du contrat, il fit un geste, comme pour dire que peu lui importait. Depuis huit jours, il feuilletait le Code, il méditait sur cette grave question, dont dépendait dans l’avenir sa liberté de tripoteur d’affaires.

— Par grâce, dit-il, finissons-en avec cette désagréable question d’argent… Mon avis est que mademoiselle Renée doit rester maîtresse de sa fortune et moi maître de la mienne. Le notaire arrangera cela.

La tante Élisabeth approuva cette façon de voir ; elle tremblait que ce garçon, dont elle sentait vaguement la