Page:Emile Zola - La Curée.djvu/150

Cette page a été validée par deux contributeurs.
150
LES ROUGON-MACQUART

madame de Lauwerens, la gorge de Blanche Muller, le nez de la marquise qui était un peu de travers, la bouche de la petite Sylvia, célèbre par ses lèvres trop fortes. Ils comparaient les femmes entre elles.

— Moi, si j’étais homme, disait Renée, je choisirais Adeline.

— C’est que tu ne connais pas Sylvia, répondait Maxime. Elle est d’un drôle !… Moi, j’aime mieux Sylvia.

Les pages tournaient ; parfois apparaissait le duc de Rozan, ou M. Simpson, ou le comte de Chibray, et il ajoutait en raillant :

— D’ailleurs, tu as le goût perverti, c’est connu… Peut-on voir quelque chose de plus sot que le visage de ces messieurs ! Rozan et Chibray ressemblent à Gustave, mon perruquier.

Renée haussait les épaules, comme pour dire que l’ironie ne l’atteignait pas. Elle continuait à s’oublier dans le spectacle des figures blêmes, souriantes ou revêches que contenait l’album ; elle s’arrêtait aux portraits de filles plus longuement, étudiait avec curiosité les détails exacts et microscopiques des photographies, les petites rides, les petits poils. Un jour même, elle se fit apporter une forte loupe, ayant cru apercevoir un poil sur le nez de l’Écrevisse. Et, en effet, la loupe montra un léger fil d’or qui s’était égaré des sourcils et qui était descendu jusqu’au milieu du nez. Ce poil les amusa longtemps. Pendant une semaine, les dames qui vinrent durent s’assurer par elles-mêmes de la présence du poil. La loupe servit dès lors à éplucher les figures des femmes. Renée fit des découvertes étonnantes ; elle trouva des rides inconnues, des peaux rudes, des trous mal bouchés par